Avec une température constante toute l’année, les maisons troglodytes sont un refuge en période caniculaire. Une solution d’avenir face à la crise climatique ? Les habitants d’un village troglodyte du Val-d’Oise en sont persuadés.
La Roche-Guyon (Val-d’Oise), reportage
Pénétrer dans une maison troglodyte un jour de canicule, c’est prendre le risque de ne plus jamais vouloir la quitter. Dans ces habitats creusés il y a plusieurs siècles, la température moyenne oscille entre 18 et 20 °C sans l’aide du moindre climatiseur. Une fraîcheur enviable face aux fortes températures amenées à augmenter. Patrick Potel, habitant du village de La Roche-Guyon, à 60 kilomètres de Paris, l’apprécie à sa juste valeur.
Depuis 2006, il vit dans une grotte aménagée dans les falaises de craie qui surplombent une boucle de la Seine, au bord du parc naturel régional du Vexin. « Le plus difficile, c’est le choc thermique quand on sort, surtout comme aujourd’hui où il fait 35 °C dehors », s’exclame ce retraité aux yeux clairs.
Grâce à une vaste baie vitrée installée plein sud, sa maison n’a rien d’une caverne sombre et lugubre. Au contraire, avec sa grande cuisine ouverte sur un bar, ses canapés moelleux, son lit caché sous une mezzanine, sa salle de bain enchâssée dans un cube en bois et ses petites niches décoratives aménagées dans le mur, son appartement d’environ 70 m2 n’aurait rien à envier à certains lofts parisiens. Seule différence : le taux d’humidité qui peut endommager tissus, livres ou chaussures en cuir si jamais il n’est pas régulé constamment.
Les maisons sont creusées dans des roches sédimentaires depuis la préhistoire. © Mathieu Génon - Reporterre
Pour ce faire, Patrick Potel a installé deux VMC, un déshumidificateur ainsi qu’un brasseur d’air. De quoi empêcher la formation de moisissure ou l’apparition de salpêtre sur les murs. « Je n’ai aucun souci, ma ventilation permet de bien réguler l’atmosphère. Je me sens protégé, à l’abri à l’intérieur de la terre, comme dans un cocon. » Sa maison troglodyte possède un autre avantage. Sans climatisation ni chauffage — une petite flambée dans le poêle suffit à réchauffer la pièce l’hiver — il n’a presque aucune facture énergétique à payer. « Je suis à la retraite avec seulement 900 euros. Vivre ici me permet de m’en sortir, car je n’ai presque pas de charges d’électricité. » Il peut ainsi se consacrer à ses tableaux ou ses reproductions de monuments historiques.
Quelques mètres plus bas, dans la même falaise, on rencontre Christian Fournier, un artiste de 69 ans qui vit dans sa grotte depuis 2005. Une véritable caverne d’Ali Baba où l’on se faufile difficilement entre les bouts de corde, les planches en bois, les tiges en métal et les empilements de cailloux. Sur les murs sont cloués des livres sauvés de la déchetterie. L’extérieur de sa grotte est décoré de dizaines d’œuvres excentriques en fer forgé qui attirent l’œil des touristes.
« J’ai de plus en plus de monde qui vient, j’en suis à cinquante-deux nationalités dans mon livre d’or. On me surnomme le Facteur Cheval du coin », s’exclame-t-il. Au beau milieu de tout ce bric-à-brac trône l’indispensable déshumidificateur. « Entre mai et septembre, je récupère entre 7 et 8 litres d’eau par jour à cause du pont thermique entre l’intérieur et l’extérieur. En hiver, c’est deux fois moins. »
La route de Gagny, où vivent Christian Fournier et Patrick Potel, est une enfilade de grottes, également appelées « bove » en référence aux bovins qui y étaient abrités dans les temps anciens. Le mot viendrait également du verbe « bover » qui signifie « creuser » en ancien français. On en compterait près de 250 dans cette bourgade, labellisée plus beau village de France. La plupart ont plusieurs centaines d’années. Celles du château, au superbe donjon médiéval encastré dans la falaise, remonteraient au XVe siècle. L’habitat troglodytique est présent dans toute la France et les maisons sont creusées dans des roches sédimentaires depuis la préhistoire. On en trouve beaucoup en Dordogne ainsi qu’en Provence. En Anjou, on trouve près de 12 000 kilomètres de galeries et 14 000 cavités dont beaucoup sont abandonnées.
Ce patrimoine historique pourrait-il devenir un refuge face au réchauffement climatique ? En juillet dernier, Le Figaro avait publié une compilation de dix logements troglodytes à acquérir pour survivre à la canicule. Les acheteurs avides de fraîcheur se sont-ils rués sur ceux de La Roche-Guyon ? Sylvain Potel, fils de Patrick et agent immobilier dans le village depuis trois ans, est sceptique : « Ce n’est pas ce que les gens recherchent le plus, surtout si l’entrée n’est pas exposée plein sud. Dans le coin, ils veulent plutôt des demeures anciennes avec jardin, dont les murs très épais de 90 cm permettent tout aussi bien de rester au frais. »
Mais Jean-Michel Kubler, le propriétaire du bar La Grotte à bières, n’est guère de cet avis. Il assure que depuis quelque temps il existe une réelle spéculation. « Les gens veulent vendre 80 000 euros une grotte qui en valait 15 000 euros lors de l’achat. » Un tarif auquel il faut ajouter de lourds travaux d’aménagement si on désire vivre à l’intérieur, notamment pour installer une puissante ventilation. Il faut également surveiller la stabilité des voûtes. « En tant qu’établissement recevant du public, la préfecture nous a imposé le passage d’un géologue pour vérifier l’état des failles, car ça bouge. » En effet, les falaises de craie et de silex dans lesquelles sont taillées ces cavités peuvent parfois s’effondrer.
Dans le village voisin de Haute-Isle, où les traces d’occupation des grottes remontent à la préhistoire, un énorme bloc s’est décroché le 24 juillet dernier, frôlant de justesse le mur de la mairie. Cela faisait une vingtaine d’années qu’il n’y avait pas eu d’accident. « Les experts disent que c’est à cause des fortes chaleurs combinées aux fortes pluies qui érodent », assure Jean-Michel Kubler. « Autrefois, les anciens écoutaient le bruit des silex crisser. Cela voulait dire qu’il allait y avoir des éboulements et qu’il fallait se réfugier ailleurs. Mais c’est rare », précise Patrick Potel.
Aujourd’hui, l’inspection générale des carrières (IGC) passe régulièrement vérifier l’état des cavités. Si le risque zéro n’existe pas, les habitants sont pour l’instant à l’abri. D’ailleurs, cette perspective d’effondrement n’inquiète pas Christian Fournier. Son atelier est jonché de symboles de la mort, des crânes taillés dans la roche aux inscriptions sur les murs. « De toute façon, on peut aussi bien mourir fauché par une voiture en sortant de chez soi. Tant que je peux créer dans mon atelier, le reste je m’en fous. »