Le mot de Kat : Je dédis cet article à ma cousine qui était marchande de chapeaux et qui s'est mariée la veille de ses 25 ans. Elle devait trouver que le vert et jaune ne lui seyait pas.
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Dans certaines régions françaises, le 25 novembre, jour de la sainte Catherine, on célèbre les jeunes filles à marier. Une fête surannée, mais qui trouve pourtant encore des adeptes.
Le jour de la sainte Catherine, le 25 novembre, vous est peut-être familier en tant que fête des couturières. Mais ce jour-là, les filles du nord ou de l'est de la France célèbrent aussi la Sainte-Catherine, dès leur plus jeune âge et jusqu'à ce qu'elles soient mariées. L'objectif: souhaiter à ces petites et jeunes filles un futur bonheur conjugal. Pourquoi perpétuer cette tradition encore aujourd'hui? Est-elle sexiste et malaisante?
La tradition des catherinettes est fêtée en France depuis le Moyen Âge. «Elle célébrait la classe des filles à marier, âgées de 15 à 25 ans», retrace Anne Monjaret, ethnologue, directrice de recherche au Laboratoire d'anthropologie politique du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et de l'École des hautes études en sciences sociales (EHESS) et autrice de plusieurs ouvrages sur le sujet, dont La Sainte-Catherine, culture festive dans l'entreprise (paru en 1998).
«On disait de cette classe d'âge qu'elle coiffait Sainte-Catherine le 25 novembre et si les femmes avaient plus de 25 ans elles coiffaient définitivement Sainte-Catherine», poursuit la chercheuse. Trop âgées, ces dernières n'étaient donc plus «bonnes à marier» et étaient destinées à finir célibataires et à devenir «vieilles filles». «Au fil du temps, on n'a plus célébré que les 25 ans et plus, en les appelant les catherinettes si elles étaient toujours célibataires et en leur offrant un chapeau vert et jaune.»
Le port de ce chapeau permettait d'identifier ces jeunes femmes en tant que célibataires, une stigmatisation qui pouvait être vécue de bien des façons, allant de l'amusement à la honte. Les catherinettes défilaient ensuite en procession dans la rue, invoquant la sainte de leur trouver un mari. «Un bon, mais plutôt un que pas du tout», comme le disait une prière à l'adresse de sainte Catherine d'Alexandrie (dont l'histoire et le culte racontent qu'elle est morte décapitée après avoir refusé d'épouser un empereur romain, au début du IVe siècle).
Mais sainte Catherine est également la patronne des couturières et des modistes. «C'est cet aspect de la Sainte-Catherine que l'on retient le plus depuis la fin du XIX siècle», reprend Anne Monjaret. Sauf dans le nord de la France, mais aussi dans certaines localités du Grand-Est et de la Nouvelle-Aquitaine, où la tradition des catherinettes non mariées est toujours vivace.
«Traditionnellement, dans le nord du pays, sainte Catherine est la patronne des petites filles et saint Nicolas celui des petits garçons, explique Anne Monjaret. Aujourd'hui encore, les enfants ont gardé l'habitude de s'envoyer des cartes postales à ces occasions. Comme il n'est plus honteux aujourd'hui d'être célibataire, il y a eu un glissement de la Sainte-Catherine vers les petites filles.»
«Dans les ateliers de haute couture, à Paris, les hommes célibataires de 30 ans et plus étaient également célébrés pour la Saint-Nicolas [fêtée quelques jours plus tard, le 6 décembre, ndlr]. Leurs collègues leur offraient un bonnet tricoté par leurs soins et des cartes postales. Pour les hommes, la Saint-Nicolas a pratiquement disparu aujourd'hui, mais parfois les “catherinets” sont fêtés dans le monde de la couture», indique encore l'ethnologue.
Gwendoline, qui a grandi en Picardie, et Mélissa, qui vit dans le département du Nord, se souviennent de ces célébrations. «On échangeait des cartes postales à l'école, on en recevait aussi de membres de la famille. Et pour les garçons, c'était pareil pour la Saint-Nicolas. Pour moi, c'était la fête des jeunes filles, mais j'ai découvert une fois adolescente que cela concernait les filles vierges ou à marier», raconte Mélissa.
«Je ne fête pas la Sainte-Catherine avec ma fille, parce que j'en connais la signification et je la trouve sexiste.» - Mélissa, qui vit dans le département du Nord
«Je faisais la confection des chapeaux à l'école, le défilé dans le quartier avec les chapeaux sur la tête, se souvient Gwendoline. Mes grands-mères nous envoyaient, à ma sœur et moi, des cartes de Sainte-Catherine, souvent très kitsches! Il m'a fallu arriver à l'âge adulte pour comprendre que ça ne se fêtait pas dans toutes les régions de France. Petite, je voyais vraiment ça comme une célébration des petites filles, qui étaient honorées dans leurs familles. Ensuite, j'ai eu connaissance de la vraie signification de cette fête, une façon assez humiliante d'afficher les jeunes femmes de 25 ans toujours célibataires. Et ça m'a vraiment gêné parce que je considère que c'est extrêmement sexiste.»
Si les souvenirs de cette tradition restent tendres, sa signification peut mettre mal à l'aise avec le recul de l'enfant devenu adulte. Les petites filles d'aujourd'hui continuent pourtant, dans le nord de la France, à recevoir des cartes pour la Sainte-Catherine.
Mélissa et Gwendoline ont fait le choix de ne pas perpétuer ces traditions avec leurs enfants. «Je ne fête pas la Sainte-Catherine avec ma fille, parce que j'en connais la signification et je la trouve sexiste», justifie Mélissa. Gwendoline ne fête pas non plus la Saint-Nicolas avec ses fils, «parce que je ne considère pas que le fait d'être une fille ou un garçon mérite d'être célébré».
Fanny, qui vit dans le Pas-de-Calais, a choisi au contraire d'accompagner sa fille dans la perpétuation de cette tradition. «Je ne suis pas pour cette fête, car pour moi cela revient à dire aux petites filles que c'est une tare d'être célibataire et de ne pas être mariée. Il n'y a eu aucune évolution en trente ans. Mais ma fille aime donner des cartes à ses copines, donc je l'aide à en confectionner des faites main.»
Gwendoline constate également autour d'elle que seules ses amies qui vivent encore dans les Hauts-de-France, voire même dans leur village natal, ont continué à fêter la Sainte-Catherine, mais également la Saint-Nicolas en envoyant des cartes aux petits garçons de leur famille le 6 décembre.
«Quand la famille ou les amis offrent une carte à une enfant pour la Sainte-Catherine, ils soulignent son statut de fille, son appartenance à cette catégorie sexuée, remarque Anne Monjaret. Ces cartes ont été modernisées, mais elles représentent toujours une jeune fille.» Pour plaire aux enfants, on en trouve aujourd'hui sous les traits de personnages de films ou séries d'animation, comme Elsa de La Reine des neiges ou Princesse Sofia.
La référence au mariage, et au souhait d'un futur bonheur conjugal pour ces futures femmes, n'est plus tellement mise en avant aujourd'hui auprès des petites filles. Mais outre les échanges de cartes postales, certaines écoles continuent à faire fabriquer des chapeaux de la Sainte-Catherine aux enfants.
«Certaines féministes y voyaient aussi la célébration d'une femme autonome qui n'était pas sous la tutelle d'un homme à 25 ans.» - Anne Monjaret, chercheuse ethnologue
Un détail dont la signification n'est pas anodine. «Le chapeau est lié à la sexualité, décrypte Anne Monjaret. Les cheveux des filles symbolisent la sexualité, on les cachait donc jusqu'à un certain âge, d'où l'expression “coiffer sainte Catherine” pour des filles non mariées. Cependant, si les enfants des deux sexes fabriquent et portent ces chapeaux, cela en change l'interprétation.»
À Vesoul (Haute-Saône), la Sainte-Catherine est célébrée chaque année en grande pompe lors de la foire du même nom, notamment avec un concours de chapeaux pour les jeunes femmes de 25 ans célibataires et sans enfants. Au moment de les faire monter sur scène devant l'assemblée, le présentateur de la cérémonie rappelle qu'elles sont célibataires, avançant que des hommes pourraient être intéressés.
Entre stigmatisation de genre, hétérocentrisme, références inappropriées à la vie conjugale auprès de très jeunes enfants et pression voire humiliation sur les célibataires, la Sainte-Catherine a de quoi mettre mal à l'aise. Pourtant, les catherinettes n'ont pas toujours été considérées comme antiféministes.
«Dans les années 1970, la fête était à la fois critiquée par des féministes parce que considérée comme has been et matrimoniale à vouloir caser les femmes. Mais certaines féministes y voyaient aussi la célébration d'une femme qui n'était pas sous la tutelle d'un homme à 25 ans, mais au contraire autonome. Sainte Catherine a aussi été une figure de lutte pour les couturières de l'époque, qui occupaient la rue avec des signes de la sainte patronne et protestaient ainsi contre des licenciements», nuance Anne Monjaret.
«J'étudie le sujet de la Sainte-Catherine depuis les années 1980, cela fait des décennies que l'on se demande si cette tradition va disparaître et elle existe toujours aujourd'hui, rappelle la chercheuse ethnologue. Cependant, le 25 novembre c'est également la Journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes, cela pourrait avoir un effet sur le devenir de la fête.»
«Avec le contexte des attentats et des plans Vigipirate, la fête a aussi eu tendance à se replier sur l'espace privé, alors qu'autrefois cela se passait en extérieur, avec des processions et des bals. On voyait les catherinettes dans le métro, il y avait même des messes. Mais c'est désormais moins visible dans l'espace public.»
Si l'aspect sexiste de la tradition de la Sainte-Catherine fait renoncer à sa perpétuation dans certaines familles, elle continue de trouver des adeptes. «Mais la Sainte-Catherine n'est pas figée, ajoute Anne Monjaret. Elle bouge et s'adapte à l'évolution de la société, ce n'est pas une fête si désuète. On a tendance à la voir figée dans le temps, mais ce n'est pas le cas.»