Plusieurs eurodéputés français réclament que l’obligation de recyclage bientôt votée au Parlement européen ne s’applique pas aux emballages en bois ou en cire.
LUDOVIC MARIN / AFP La boîte de camembert menacée ? Ces élus français font tout pour la sauver au Parlement européen
photo prise en 2020 au salon de l’Agriculture
POLITIQUE - Tout un fromage. Des eurodéputés français ont déposé ce mercredi 15 novembre des amendements pour exclure les traditionnels emballages en bois des boîtes de camembert d’un règlement sur le recyclage qui doit être voté la semaine prochaine au Parlement européen.
Ce texte, proposé en novembre 2022 par la Commission européenne afin de réduire les déchets, impose notamment des objectifs de recyclage pour tous les emballages à partir de 2030. Il fait l’objet d’un intense lobbying hostile des entreprises. « Les boîtes en bois utilisées pour emballer les fromages comme le camembert ne disposent pas de filière de recyclage dédiée, car il serait trop onéreux de créer une chaîne logistique », a expliqué à l’AFP l’eurodéputée macroniste Stéphanie Yon-Courtin, originaire de Normandie.
« Cela fait partie de notre terroir. Pour l’affinage, pour le goût, je parle à tous les Normands, ils savent très bien que cette petite boîte en bois léger permet d’avoir un meilleur goût », a-t-elle encore plaidé sur France Bleu Normandie mardi, en insistant également sur le caractère « biodégradable » de cet emballage.
Son groupe, Renew Europe (centristes et libéraux), à la demande de la délégation française, a déposé un amendement pour réclamer que l’obligation de recyclage ne s’applique pas aux emballages en bois (boîtes de camembert, de Mont d’Or, bourriches d’huîtres, barquettes de fraises…) ni aux emballages en cire (ce qui concerne par exemple le Babybel).
La secrétaire d’État chargée de l’Europe réagit aussi
Ils demandent que la Commission européenne fasse un rapport pour évaluer la disponibilité d’infrastructures de recyclage pour ces types d’emballages, ainsi que le bénéfice pour l’environnement de l’obligation de les recycler, avant éventuellement de décider de les y soumettre.
« Avant d’aller demander de recycler des boîtes en bois, il y a déjà beaucoup à faire sur les emballages plastiques », argumente aussi l’eurodéputé Jérémy Decerle (Renew), ancien président du syndicat des Jeunes agriculteurs. Le texte avait pourtant fait l’objet d’un premier feu vert de la commission environnement du Parlement européen en octobre.
« Si on a envie de caricaturer l’Europe avant les élections, on commence à embêter les producteurs de camembert et leur emballage en bois… Ça fait bondir tout le monde ! », a commenté la secrétaire d’État française chargée de l’Europe, Laurence Boone, lors d’une rencontre mardi soir avec des journalistes. « Qu’on fasse du recyclage, il le faut, qu’on incite les entreprises à utiliser des emballages recyclables, il le faut. Après, il faut un peu de réalisme pragmatique et ne pas embêter les producteurs de camemberts », a-t-elle estimé.
Des amendements ont aussi été déposés par les eurodéputés français François-Xavier Bellamy et Arnaud Danjean du groupe PPE (droite) et par Catherine Griset (groupe ID, extrême droite) afin d’exclure les emballages en bois du champ de la réglementation.
En revanche, l’eurodéputée allemande Delara Burkhardt (groupe Socialistes et démocrates), également impliquée dans le dossier, semblait moins sensible au sort de l’emblématique fromage normand : « l’exigence pour l’emballage en bois du camembert d’être recyclable doit rester », a-t-elle déclaré à l’AFP.
Le mot de Kat : Adoptez un camembert !
La couche blanche et cotonneuse qui recouvre le camembert est le fruit d'une sélection humaine comme la domestication du chien à partir du loup, révèle une étude menée par des chercheurs du CNRS d'AgroParisTech. Les chercheurs ont analysé le génome de la moisissure Penicillium camemberti, et ont découvert un processus de domestication en deux étapes. Un premier événement a donné naissance à la moisissure bleu-vert P. biforme, qui se retrouve par exemple sur les fromages frais de chèvre. La deuxième étape, plus récente (XXe siècle), a donné la lignée blanche et cotonneuse, P. camemberti.
Ces deux espèces domestiquées, et plus particulièrement P. camemberti, montrent des caractères avantageux pour l'affinage des fromages par rapport à l'espèce sauvage proche P. fuscoglaucum, explique l'étude. Elles sont plus blanches et poussent plus rapidement sur le fromage en condition de cave d’affinage. D'autre part, elles ne produisent pas, ou alors en infime quantité, une toxine potentiellement dangereuse pour l'être humain, et empêchent la prolifération d'autres moisissures indésirables.
L’arbre génétique de la moisissure de camembert Penicillium camemberti.
© Jeanne Ropars et al, Current Biology, 2020
P. camemberti n'est pas le seul champignon domestiqué par l'Homme. La moisissure de roquefort Penicillium roqueforti a elle aussi été domestiquée deux fois, avec l'une des souches utilisées pour le « vrai » roquefort AOC et l'autre pour tous les autres fromages de type bleu. La levure de bière Saccharomyces cerevisiae a elle aussi connu plusieurs évolutions, certaines souches étant adaptées à la fermentation de la bière ou du pain et une autre plus adaptée au fromage, qui assimile plus rapidement le galactose.