Le prix du Museum of the Year est le plus largement doté du secteur, ce qui en fait depuis 1973 l'un des plus convoités par les institutions culturelles. En juillet 2024, il était décerné au Young V&A (qui reçut un joli chèque de 140.000 euros), un an à peine après sa réouverture. Douze mois qui ont suffi au premier musée de l'histoire à avoir été développé en collaboration avec des enfants pour s'imposer comme un exemple à suivre.
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Tout a commencé il y a une poignée d'années par une question: «Que pensez-vous des musées?» L'agence de conseil britannique Beano Brain a recueilli l'avis un grand nombre d'enfants nés après 2015, à la demande du Victoria and Albert Museum, incontournable institution fondée en 1852 par la reine Victoria. Le verdict est tombé: 44% d'entre eux les jugeaient ennuyeux. Et le vénérable V&A Museum of Childhood, rejeton né en 1872, n'échappait pas à la sévère sentence.
Ce musée de l'enfance, finalement, tombait dans le même écueil que beaucoup d'autres: celui d'«aborder les enfants sous l'angle du déficit», selon la professeure Monica Eileen Patterson, directrice du département d'études curatoriales de l'université Carleton, à Ottawa (Canada). En d'autres termes, nous en avions déjà parlé, les enfants sont pris pour les idiots qu'ils ne sont pas. «Ils sont traités comme des fardeaux qu'il faudrait contrôler, des apprenants qu'il faudrait éduquer, des êtres pleins d'énergie, dotés d'une faible capacité d'attention, qu'il faudrait distraire.»
Sans compter que les activités proposées aux enfants sont rarement développées de leur point de vue, mais selon celui des adultes qui «fixent les règles et le cadre, […] demandent aux enfants d'imiter le travail d'artistes adultes, ou leur parlent […] d'œuvres créées par des adultes». En bref, force est de constater que jusqu'à la naissance du Young V&A, les musées avaient tout faux.
L'heure était grave. Que faire des 5.000 mètres carrés d'exposition du musée, de ses 2.000 œuvres illustrant le monde de l'enfance au fil de sept millénaires? Les cabinets d'architecture choisis pour mener à bien la mission se sont donc installés en résidence dans les murs du V&A Museum of Childhood. Puis ont imaginé un grand laboratoire participatif au sein duquel, dix mois durant, 22.000 enfants sont venus brainstormer avec eux à tour de rôle.
Toutes les propositions des muséographes en herbe ont été considérées avec sérieux. Le «Forum pour enfants» a imposé la nécessité de créer un lieu inclusif (entrée gratuite, ateliers et expositions aménagés pour un accès en fauteuil roulant), plein d'optimisme et de positivité, «tout en tenant compte des complexités des jeunes vies d'aujourd'hui», résume la directrice du Young V&A, Helen Charman.
Les pratiques de cocréation et de co-conception ont permis de «débloquer et exprimer le potentiel créatif» du jeune public, tout en offrant un réétalonnage «du rôle du musée à une époque d'énormes défis mondiaux».
Le musée devait être ludique («le plus joyeux du monde», avaient conclu les jeunes consultants), mais également instructif et responsable. Pour Helen Charman, c'est le rôle des institutions de répondre aux questions que ces changements soulèvent: «Le dynamisme est le sine qua non de la survie –ou de l'insignifiance du risque.»
Le Young V&A affiche fièrement les résultats de sa politique zéro déchet: gravats du chantier, pots de yaourts ou meubles fatigués ont été recyclés puis transformés en tables d'atelier ou en plans de travail. Environ 17 millions d'euros ont été consacrés à la réinvention du musée, qui a duré trois ans.
Le musée dans son jus d'origine s'avérait plutôt austère: enfants et architectes ont donc planché sur les moyens de faire entrer la lumière et la couleur dans le bâtiment historique. Trois nouvelles galeries d'exposition, baptisées Play, Imagine et Design, donnent sur l'atrium central, désormais baigné de lumière naturelle, qui fait office d'immense espace de jeux. Un grand escalier en colimaçon ponctue son extrémité, surmonté d'un énorme globe réfléchissant inspiré des jeux d'illusion d'optique de la collection du V&A.
Le nom de chaque galerie s'affiche en immenses lettres capitales de couleurs vives (choisies par les enfants), chacune s'adressant à une tranche d'âge. Même les tout-petits ont droit à leur espace. Dans la galerie Play, le Mini Museum présente toutes sortes d'objets issus des collections, mais exposés de façon à stimuler les plus jeunes. Vitrines tactiles, objets réfléchissants et à hauteur des regards de visiteurs pas encore en âge de marcher, cadres et structures couverts de textiles doux, etc.
«S'il y a un objet étincelant à l'intérieur de la vitrine, il sera exposé dans un cadre étincelant», explique Helen Charman. «S'il est fait de marbre, alors les enfants pourront sentir la texture du marbre. Il y a aussi un arbre sonore qui donne vie aux objets», diffusant par exemple un bruit de pluie pour animer la reproduction d'une œuvre de David Hockney.
Plutôt qu'une scénographie statique, chaque espace opte pour une approche immersive et interactive, détaillant non seulement l'histoire des objets mais montrant aussi la façon dont ils ont été fabriqués. On trouve en outre trois espaces dédiés aux ateliers, une salle de lecture, une boutique dans le hall et un café.
À l'étage, la galerie Design met en lumière des objets innovants et des études de cas. Une cabane-atelier accueille designers ou artistes en résidence, tandis que l'Open Studio propose des défis de conception aux 11-14 ans: ceux-ci y développent notamment des objets qui sont ensuite fabriqués et vendus au sein de la boutique du musée.
Le «musée le plus joyeux du monde» ne se contente pas d'apporter de la joie à ses visiteurs: il invente de nouvelles façons de les faire participer et de pérenniser leur relation aux lieux et à sa mission. Plus d'exposition ennuyeuse ou de thème mal choisi: les enfants partagent leurs idées, décident des angles, expriment leurs souhaits et craintes.
Enfin écoutés et entendus, ils approuvent le résultat de cette entreprise pas comme les autres: depuis que les oripeaux du Museum of Childhood ont été remisés, le visitorat du Young V&A a triplé.