Aujourd'hui, on se marie moins qu'il y a cinquante ans, mais les couples ne ménagent pas leur peine. Surtout les futures mariées.
«Parfois, j'ai même eu l'impression que j'allais me marier avec moi-même, vu qu'il me laissait tout gérer», témoigne une internaute.
Dans les années 1970, plus de 390.000 mariages étaient célébrés chaque année, contre 228.000 en 2017. Une diminution du nombre d'unions, du fait notamment de la promulgation en 1999 du pacte de solidarité civile (Pacs), grâce auquel plus de 200.000 personnes s'unissent chaque année. Pour autant, de nos jours, les festivités qui accompagnent les mariages sont plus personnalisées et spectaculaires que jamais. «Jusque dans les années 1970, le mariage marquait un début. On se mariait autour de 22-24 ans avant de vivre ensemble», explique Florence Maillochon, sociologue, directrice de recherche au CNRS et autrice de La passion du mariage, publié en 2016 aux Presses universitaires de France.
«Aujourd'hui, la plupart des couples qui se marient ont plus de 30 ans et vivent déjà sous le même toit. Le mariage n'étant plus indispensable, il n'est plus vécu comme un point de départ. Mais organiser un grand mariage est devenu un but en soi pour les couples qui décident de s'unir.» Avec ce changement de paradigme, les rituels venant ponctuer les fêtes ont aussi évolué. Il ne s'agit plus seulement de rassembler des proches pour célébrer un engagement conjugal et familial. «Ces événements exigent désormais un décorum particulier pour pouvoir être considérés comme des fêtes de mariage dignes de ce nom, ce qui en dit long sur le sens qu'on accorde à cette célébration», complète Florence Maillochon.
Car le mariage demeure une institution importante, qui fait figure de normalité du point de vue des valeurs sociales et religieuses. Quant à la réception qui réunit les invités après le passage à la mairie et/ou la cérémonie religieuse, elle est plus que jamais au centre de toutes les attentions. D'ailleurs, les convives qui y assistent sont bien plus nombreux qu'à l'époque: «Jusqu'aux années 1980, le nombre d'invités tournait autour de 70. Aujourd'hui, la moyenne est de 120 invités», indique la sociologue.
Pour marquer les esprits, les futurs mariés ne ménagent pas leur peine. «Aujourd'hui, ces événements se préparent pendant un voire deux ans, souligne Florence Maillochon. Cette réalité fait écho à la volonté des futurs mariés de prendre le temps de personnaliser chaque détail de la fête, pour qu'elle vienne soutenir la construction identitaire de leur couple.» Costume, robe, maquillage, photographe, vins, DJ, traiteurs, fleurs, décoration… Rien n'est laissé au hasard pour rendre l'événement unique et mémorable.
Au cours de ses recherches, menées auprès de plus d'une cinquantaine de couples, Florence Maillochon a pu constater que les fêtes de mariage sont particulièrement soumises aux injonctions à la perfection que véhicule notre époque. «Les préparatifs sont devenus, eux aussi, une forme de rituel. Sur les réseaux sociaux, on assiste à une véritable mise en scène de cette période. Tout est fait pour créer une image particulière autour de cette journée, pour se démarquer autant que possible, se détacher de la tradition et organiser un mariage parfait aux yeux de tous.»
«Aujourd'hui, ces événements se préparent pendant un voire deux ans.» Florence Maillochon, sociologue
Malgré tout, le déroulé des fêtes de mariage reste peu ou prou similaire à celui des générations précédentes. Vin d'honneur, plan de table, repas, soirée dansante, brunch le dimanche. Malgré l'attention portée à chaque détail, le script diffère très peu d'un mariage à l'autre. Une tendance qui s'illustre davantage avec, depuis plusieurs années, l'américanisation des mariages français. Cérémonies d'enterrement de vie de jeune fille et de jeune garçon, «rehearsal dinners» (dîners de préparation), photos booths (cabines de type photomaton mises à disposition des invités), etc., ces pratiques venues de l'autre côté de l'Atlantique et qui font désormais presque figures de passages obligés, contribuent à la standardisation de l'événement.
Sur les réseaux sociaux, difficile de passer à côté des photos de cérémonies de mariage enchanteresses… et coûteuses. On estime qu'une fête de mariage coûte en moyenne 8.600 euros aux futurs mariés et lorsqu'il s'agit de louer un domaine ou de faire appel à un wedding planner, les prix s'envolent. Florence Maillochon estime que les célébrations actuelles se font le prolongement des inégalités sociales, car pour les couples les plus modestes, impossible de coller à cet idéal de fête de mariage spectaculaire. «Comme les gens se marient plus tard, ils financent la majeure partie de la fête. Or, pour beaucoup de couples de classe moyenne ou populaire, s'offrir un mariage à plusieurs milliers d'euros est impossible.»
Sur les forums dédiés au mariage, certains désespèrent: «Y-a-t-il ici d'autres personnes pauvres qui préparent leur mariage?», demande une internaute américaine. «Sur quoi rogner dans la vie de tous les jours pour pouvoir se payer le mariage de ses rêves?»
En France, 21% des couples s'endettent pour pouvoir fêter leurs noces en grande pompe.
D'autres femmes lui partagent leurs bons plans: «J'économise sur tout, je n'achète que de la sous-marque au supermarché et ne mange jamais dehors», ou encore: «Mon futur mari et moi avons tous les deux pris un second emploi pour financer notre mariage.» Pour les couples qui ne parviennent pas à réunir la somme nécessaire, les organismes de crédit à la consommation surfent eux aussi sur la tendance aux mariages dispendieux en proposant des prêts spécifiques pour cette occasion.
Effectivement, de nombreux couples s'endettent pour pouvoir fêter leurs noces en grandes pompes. En France, cela concernerait près de 21% des mariés. «Ceux qui ne peuvent pas se payer une réception à la hauteur de leurs espérances préfèrent parfois ne pas se marier du tout que d'organiser un événement plus modeste», note la sociologue. D'après elle, l'injonction à organiser une fête de mariage unique et mémorable est en phase avec le discours libéral ambiant qui exhorte sans cesse à la réalisation de soi: «À une époque qui n'hésite plus à marchandiser le romantisme, cette image du mariage renforce l'idée que ce type d'événement est accessible à tout le monde et qu'il faut célébrer son union en bonne et due forme pour qu'elle soit reconnue par tous. Malheureusement, ces injonctions contradictoires sont une forme de violence sociale qui alimente la frustration des plus modestes.»
D'après Florence Maillochon, ces cérémonies coûteuses et complexes à organiser font aussi le relai des inégalités de genre. «Les inégalités dans la répartition des tâches domestiques quotidiennes se perpétuent lors des préparatifs du mariage. Ce sont quasiment toujours les femmes qui les prennent en charge. Les impératifs de cette organisation viennent se rajouter à leurs tâches quotidiennes. Pour s'en sortir, certaines arrêtent même de travailler.» Sur un forum dédié à l'organisation de mariage, une internaute se désole: «Mon compagnon m'a laissé entièrement carte blanche pour la préparation de la réception. Parfois, j'ai même eu l'impression que j'allais me marier avec moi-même, vu qu'il me laissait tout gérer.» De fait, les habitus considérés comme féminins au sein de la sphère domestique (gestion de la décoration, cuisine, accueil des invités, etc.), se déclinent aussi avant et pendant les fêtes de mariage.
Florence Maillochon explique également ces inégalités de genre par l'image asymétrique du rôle des mariés dans l'inconscient collectif: «Le jour J, c'est la mariée qu'on regarde. Sa tenue, son attitude et son maquillage sont au centre de la scène. Elle fait l'objet d'une métamorphose totale, change plusieurs fois de robe, est scrutée, photographiée pendant toute la durée de l'événement.» Un rôle central soutenu par les traditions qui accompagnent le mariage depuis le XIXe siècle: robe blanche, voile, bouquet de fleurs, etc., qui concernent essentiellement les femmes.
Pour autant, arriverait-on bientôt à la fin d'une époque? Depuis quelques années, le phénomène d'«elopement» a fait son apparition. Aussi appelé «fugue amoureuse», il décrit cette volonté qu'ont certains couples de célébrer leur union en catimini, en cercle restreint, souvent à l'étranger. Loin des projecteurs, ce retour en force de l'intimité pourrait bien se généraliser, à l'heure où la crise sanitaire a poussé de nombreuses personnes à revoir leur projet de fête de mariage.