Une histoire de chêne, de caresses et de Zeus.
C'est une drôle de pratique que beaucoup appliquent aveuglement, en ne manquant surtout pas de joindre le geste à la parole. Dès qu'un «je touche du bois» surgit au milieu de la conversation, c'est la débandade: il faut trouver au plus vite ce fameux bois et poser la main dessus avant que l'infortune ne vous rattrape. Une façon comme une autre de mettre toutes les chances de son côté, s'assurant succès et réussite. Vraiment ?
L'origine de cette superstition remonte à plusieurs millénaires.Toucher du bois © Tent Haaland via Unsplash
Ici, pas question d'égratigner cette superstition. On vous laisse seul juge de son efficacité. En revanche, remonter le fil de ses origines est fichtrement intéressant et nous plonge dans un temps où l'on en venait presque à souhaiter toucher la foudre à la place du bois –ce qui aurait sûrement rendu plus impopulaire cette pratique.
Les racines de cette expression remontent en effet à plusieurs millénaires. En 600 av. J.-C., les Perses touchaient déjà du bois. À l'époque, c'était surtout un bon moyen de se mettre le dieu du feu Atar de son côté –et ça, ça pesait dans le game. Pas sûr, en revanche, qu'ils criaient à haute voix «je touche du bois» en mettant la main sur un meuble Ikea.
Les Égyptiens eux aussi avaient un petit faible pour tout ce qui était arbre et tronc. Selon eux, le bois diffusait une sorte de magnétisme protecteur. Le toucher, c'était s'assurer une santé de fer. Pratique.
C'est pourtant un autre peuple, les Grecs, qui a sûrement le plus introduit cette pratique dans notre culture. Les Hellènes étaient persuadés que leurs dieux les regardaient depuis les cieux. Du haut du mont Olympe, il leur arrivait même d'envoyer quelques signes de leur mécontentement aux mortels: des éclairs. La foudre était alors considérée comme la manifestation de Zeus, le dieu des dieux dans la mythologie. Et devinez où allaient bien souvent se nicher ces sortes de messages foudroyants? Dans les arbres. Enfin, pas dans n'importe quels arbres.
Les Grecs avaient remarqué qu'un type d'arbre en particulier, plus grand et plus imposant que tous les autres, attirait souvent la foudre: le chêne. Dès lors, aller caresser un chêne revenait à flatter Zeus, à calmer sa colère. L'objectif? Se le mettre dans la poche, évidemment. Rien ne pouvait vous arriver une fois Zeus de votre côté.
Si l'aspect sacré du chêne a traversé les âges –on le retrouve notamment chez les Romains et les Gaulois–, c'est la relation entre le bois issu de n'importe quel arbre et la bonne fortune qui a finalement pris le dessus. Jusqu'à atterrir au Moyen Âge, où les chrétiens se sont réappropriés cette superstition païenne. Pour eux, toucher du bois, c'était avant tout se référer à Jésus, à son supplice sur une croix de ce matériau. Un moyen de voir ses prières exaucées.
Aujourd'hui, l'expression existe dans plusieurs langues, avec de légères variantes tout de même. Ainsi, en anglais, on ne «touche pas», mais on «frappe du bois». Les Italiens sont même allés un peu plus loin et préfèrent, quant à eux, «tapoter du fer». Encore faut-il en avoir sous la main.
Toucher du bois est loin d'être le seul acte superstitieux que l'on réalise parfois sans même réfléchir à son origine. Prenez les échelles: combien de personnes ont, de nos jours, peur de passer sous l'une d'entre elles? La pratique remonterait au Moyen Âge, car à l'époque, passer sous un tel objet c'était risquer de se prendre des seaux de peinture ou des outils tranchants sur la tête. Simple mesure de sécurité donc? Pas seulement.
L'échelle est bardée de références bibliques. D'un côté, elle rappelle aux chrétiens celle qui a été adossée à la croix du Christ afin de le hisser pour le crucifier; de l'autre, une fois posée contre un mur, elle forme un triangle, symbole de la Sainte Trinité –passer sous une échelle reviendrait donc à briser le triangle, un sacrilège qui ne vous apporterait que du malheur.
Et que dire d'ouvrir un parapluie à l'intérieur d'une maison. C'est la mauvaise fortune assurée! Et pour cause: au XVIIIe siècle, le mécanisme d'ouverture des parapluies à armature métallique était très (très) dangereux. L'ouvrir dans un petit espace c'était risquer de blesser, voire d'éborgner quelqu'un. Ajoutez-y une superstition et plus personne n'aura à craindre pour son œil.
Briser un miroir apporterait sept ans de malheur? Un classique. Au Ier siècle, les Romains pensaient que les miroirs –qui étaient loin d'être aussi répandus qu'aujourd'hui– renvoyaient l'image de l'âme. Brisez le précieux objet et c'est votre âme que vous cassez en morceaux. Pourquoi sept ans de malheur précisément? Parce que ces même Romains estimaient que l'homme évoluait par paliers de sept ans, notamment au niveau de la personnalité. La malédiction du miroir brisé suivait donc l'individu jusqu'à son prochain cycle de vie.
Poser son chapeau sur un lit est également fortement déconseillé dans les croyances populaires. Ce geste est en effet loin d'être anodin: à l'époque, les hommes ôtaient leur chapeau lorsqu'ils entraient dans la chambre d'un mort. Réitérez ce geste et c'est la mort qui viendra à vous. Enfin, pas si vous touchez du bois rapidement.