C'est LA catastrophe du petit-déjeuner: vous préparez bien tranquillement vos tartines, en étalant soigneusement le beurre ou la confiture… Quand soudain, pas encore bien réveillé, vous perdez le contrôle de votre délicieuse tartine. C'est le drame. Elle tombe et le côté beurré se retrouve contre le sol. Il faut alors nettoyer (à tous les coups, vous aviez fait le ménage la veille), et vous vous dites que ce n'est que le début d'une longue journée, placée sous le signe de la loi de Murphy («tout ce qui est susceptible de mal tourner, finira par mal tourner»).
En réalité, il y a peu de chances que vous soyez maudit. Il n'y a aucune raison pour que la tartine malchanceuse soit le signe d'une mauvaise journée, car cette chute tragique a une véritable explication scientifique. La faute revient aux lois de la physique qui régissent l'univers. Un chercheur a en effet démontré que votre tartine n'a le temps de faire qu'un demi-tour dans les airs avant de toucher le sol. Votre toast a donc statistiquement plus de chances de se retrouver à l'envers.
Un toast standard fait un tour complet en 0,7 seconde
Le physicien britannique Robert Matthews, membre de la Royal Astronomical Society et de la Royal Statistical Society, a très sérieusement analysé le phénomène dans deux études, datant de 1995 et 2001. Ce scientifique de l'université d'Aston, à Birmingham, a d'abord établi que la hauteur de la table était le principal facteur à l'origine du retournement de la tartine. Il a d'ailleurs reçu un prix pour cette étude: le Ig-Nobel de Physique 1996, une parodie du célèbre prix Nobel, décernée chaque année à des recherches insolites.
Selon ses calculs, un toast standard fait un tour complet sur lui-même en 0,7 seconde. Mais d'une hauteur de 75 centimètres (la taille moyenne d'une table), elle met seulement 0,39 seconde pour atteindre le sol. Elle n'a donc pas le temps de faire un tour complet. La malédiction de la tartine n'est donc pas due au hasard. C'est même le destin fatal du toast beurré de s'écraser plus souvent du côté le plus gourmand.
«La statistique veut que le phénomène soit essentiellement aléatoire, avec une répartition 50/50 des résultats possibles. Mais nous montrons que les toasts ont une tendance inhérente à atterrir côté beurre, écrit Robert Matthews dans l'introduction de ses travaux. De plus, nous montrons que ce résultat est finalement attribuable aux valeurs des constantes fondamentales. Ainsi, cette manifestation de la loi de Murphy semble être une caractéristique inéluctable de notre univers.»
Dans un moment d'ennui profond, vous pouvez tenter l'expérience avec un livre. Posez-le à l'endroit sur une table, et poussez lentement et de manière continue, jusqu'à ce qu'il tombe. Il est probable qu'il se retrouve plus souvent sur la quatrième de couverture.
9.821 lancers de tartines
En 2001, Robert Matthews veut définitivement prouver sa théorie et fait appel à des centaines d'écoliers britanniques pour obtenir des résultats empiriques. Après des milliers de tests, il détermine la statistique tant attendue: le côté beurré se retrouve face contre terre dans 62% des cas. Sur 9.821 chutes de toasts, 6.101 ont fini du mauvais côté.
Seulement 62%, me direz-vous? Si vous avez l'impression que votre tartine tombe tout le temps du côté beurré, il se peut que l'aspect psychologique entre en jeu. Notre mémoire sélective se souvient mieux des fois où la tartine atterrit du côté de la confiture que des fois où elle est tombée du bon côté.
La meilleure solution serait de construire des tables beaucoup plus hautes, d'au moins 2,5 mètres.
Notons quand même que l'expérience de Robert Matthews n'est pas sans faille. Pour produire ses statistiques, il a simplifié les paramètres. Les écoliers ne devaient pas tenter de rattraper la tartine, au risque de modifier sa trajectoire en la touchant. Dans la réalité, la situation peut être plus complexe. La manière dont on tient sa tartine ou bien la vitesse à laquelle on la pousse peut modifier sa chute.
Contrairement à ce qu'on peut imaginer, la quantité de confiture sur la tranche de pain n'a que peu d'influence. Même si la garniture fait effectivement varier le poids de l'ensemble, il faudrait qu'elle soit aussi épaisse que le toast pour modifier le mouvement. Même chose pour la composition de la tartine: que ce soit du pain, une biscotte, ou de la brioche, les variations n'ont que des effets minimes.
Alors comment éviter ce drame matinal? La meilleure solution serait de construire des tables beaucoup plus hautes, d'au moins 2,5 mètres. La tartine aurait ainsi le temps d'effectuer un tour complet et d'atterrir plus souvent du côté non-beurré. D'ailleurs, lors de son expérience, Robert Matthews a également procédé à 2.000 lancers de tartines à 2,4 mètres de haut. La probabilité que le toast finisse sa chute du côté de la confiture a été réduite à 47%.
Autre solution: réduire la taille des tartines. Plus la tartine sera petite, plus elle tournera vite et plus elle aura de chances de tomber du bon côté. Sinon, il ne vous reste plus qu'à manger vos tartines à l'envers, ce qui risque de faire encore plus dégâts que lorsqu'elles tomberont!