De retour dans les forêts françaises, le lynx vit toujours entouré de crainte et de mystère. Patrice Raydelet, auteur et photographe fasciné par ce grand félin, le piste dans le Jura et fait tout pour le protéger.
Orchamps-Vennes (Doubs), reportage
Lynx par Patrice Raydelet
« Sunday, Bloody Sunday… » Du doux crépitement de la chaîne hifi s’échappe la mélodie du groupe irlandais U2, que seuls les cliquetis de la souris d’ordinateur viennent troubler. Un verre de vin à la robe ambrée dans le creux de la main, Patrice Raydelet fait défiler les fichiers vidéos. Dehors, dans l’obscurité grandissante, les cimes des majestueux conifères dansent au gré des bourrasques.
« Bingo ! » s’écrit-il brusquement. Sur l’écran sombre, apparaît la silhouette élancée d’une bestiole à la fourrure tachetée. Une touffe de poils noirs orne le sommet de ses oreilles triangulaires. Les yeux bleus du naturaliste s’illuminent : « Je te présente Rocky, le mâle du coin. »
« Petiot », Patrice est tombé dans la fascination du lynx boréal. Auteur et photographe animalier, il y a consacré sa vie : « Ce n’est pas un métier, ni même une passion. C’est un chemin de vie, une obligation, un combat, dit-il d’un accent jurassien à couper au couteau. Souvent, les gens me disent : "Quelle chance tu as de vivre de ce que tu aimes !" Non, non, ce n’est pas formidable. Il y a de quoi se foutre en l’air… »
Dans les contreforts de son Jura natal, il nous a emmené à la découverte de ce mammifère fantomatique et menacé, classé « en danger de disparition » sur la liste rouge française de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN).
« C’est par là… » À pas de géant, Patrice grimpe en direction d’une crête arborée. Le souffle à peine saccadé, il nous plonge dans l’histoire de ce mystérieux félin. Au Moyen Âge, son aire de répartition s’étendait de la péninsule ibérique aux confins de la Sibérie. Victime de la chasse, de la destruction de son habitat et de la raréfaction de ses proies, il disparut de l’Europe de l’Ouest à la fin du XIXᵉ siècle.
« L’ultime trace que j’ai trouvé dans les archives départementales du Jura remonte à 1885, détaille le fondateur du pôle Grands prédateurs. Un homme racontait avoir tué et enterré un énorme chat sauvage, à la queue courte et aux oreilles pointues. J’ai compris qu’il s’agissait d’un lynx et qu’à cette époque, personne ne connaissait cette espèce. »
Et puis, plus rien. Un grand trou noir d’un siècle. Le lointain cousin du puma ne réapparut dans le massif jurassien qu’en octobre 1974. « Trois ans plus tôt, quelques lynx avaient été réintroduits en Suisse. Une femelle a parcouru 100 km à vol d’oiseau pour finalement être sauvagement abattue, à Gex, dans l’Ain. » Patrice interrompt sa marche, mains sur les hanches. Sous sa manche, se dévoile un tatouage : les empreintes d’un lynx. « Voilà. Sa disparition et son retour ont été marqués par deux bêtes flinguées par l’Homme. Le tableau est dressé. »
Des connaissances scientifiques lacunaires
Sans trop y croire, le jurassien est parti sur la piste du lynx, dès qu’émergea la rumeur de son retour, à l’aube des années 1990. Il comprit alors, qu’hormis les fantasmes et les légendes, les connaissances scientifiques sur l’espèce étaient quasi inexistantes. « Pour les chasseurs, cette saloperie allait vider les forêts de gibier [1].
Pour les éleveurs, il boufferait tout dans les bergeries. Et pour ses défenseurs, ce n’était qu’un bon gros chat sympa. » De 1991 à 1997, c’est dans un parc zoologique de Bavière qu’il apprit à les observer, les écouter, imiter leurs cris. « Ça peut sembler étrange, s’amuse-t-il, mais à l’époque, il n’y avait rien pour étudier leur comportement. »
Filtrant les rayons du soleil, les feuilles des arbres offrent au regard un camaïeu de verts somptueux. Sous nos pieds, le bruissement de l’humus, dont l’odeur emplie l’air frais, s’accorde avec le chant d’un geai des chênes. Patrice s’accroupit et examine les selles semées par un lynx. Alors, l’esprit s’emballe : peut-être allons-nous le voir ? Il sourit. « J’ai attendu vingt ans pour avoir la chance de croiser son chemin dans le Jura. Et dire que ça s’est joué à une bière… »
À la fin des années 2000, le photographe rendit visite à un éleveur pour travailler à la mise en place de chiens de protection [2]. « Au moment où j’allais partir, il m’invite à entrer boire un verre. Je cède et finis par m’en aller assez tardivement. » La nuit était tombée sur la vallée. Dans les phares de sa voiture, il aperçut au loin filer deux ombres furtives : « Putain, des lynx ! » Il écrasa aussitôt sa pédale de frein, s’arrêta en travers de la route et sauta sur le bitume. « Je me suis mis à les appeler, poursuit-il en gesticulant pour imiter la scène. Et paf ! Un jeune lynx fit demi-tour, intrigué et s’assit à deux mètres de moi. » Ils passeront quelques minutes à « tchatcher », tous les deux allongés dans le fossé. « C’était un moment fabuleux, une proximité inoubliable. Je ne suis jamais rentré aussi léger. »
Cette histoire est si surprenante qu’on la croirait sortie d’un conte fantastique. Le lynx n’est-il pas un animal farouche ? « Loin de là ! Il est simplement extrêmement discret. C’est lui seul qui décide s’il veut être vu ou non. En Andalousie, je me suis baladé avec un mâle… Il marchait à côté de moi, comme si je promenais mon chien. » Le passionné palpe parfois dans leur regard une pointe de curiosité. Plus souvent, rien que l’indifférence. De telles rencontres, il peut les compter sur les doigts de ses mains.
Arrivé au sommet d’une petite paroi rocheuse, l’homme aux cheveux grisonnants retire son sac à dos et s’en va récupérer les cartes mémoire de ses pièges photographiques, dissimulés dans la broussaille. Installés au cœur du printemps, ils lui permettent d’assurer un suivi des lynx vivant dans les parages.
Aujourd’hui, la population française de lynx avoisine les 150 individus, dont plus des deux tiers habitent les sapinières jurassiennes. « Dans le massif, on observe de plus en plus de femelles suitées, ce qui était très rare autrefois », se réjouit le spécialiste. Au printemps 2021, quarante-deux portées de un à quatre chatons avaient été recensées sur les départements de l’Ain, du Doubs et du Jura. « Où sont-ils ? Là réside tout le mystère. Comment se fait-il que la population ne semble pas s’étoffer ? Je ne comprends pas… »
Officiellement, le trafic routier est la première cause de mortalité chez ces animaux. Chaque année, une quinzaine d’entre eux meurent percutés par un véhicule. « Ça paraît peu, mais c’est tout de même 10 % de la population nationale. » Alors Patrice tente d’inciter les conducteurs à lever le pied et réfléchit à l’élaboration de passages à faune, au-dessus ou en dessous des routes les plus accidentogènes, avec le Parc naturel régional du Haut-Jura.
La fragmentation du couvert forestier par les zones urbanisées complique également, voire empêche, la dispersion des individus et les échanges entre noyaux de population différents. À l’avenir, ces isolements risquent d’engendrer un affaiblissement génétique de l’espèce.
« Et puis, il y a le braconnage. Une cause de mortalité qu’on peine à chiffrer, mais qui est bien réelle, déplore Patrice, la main posée sur l’écorce d’un hêtre. Je suis écœuré quand j’entends les chasseurs, inquiets de manquer de gibiers, vouloir la peau du lynx. Et après, ces prétendus amoureux de la nature veulent nous faire gober qu’ils ne chassent que pour la régulation ? » Lancé en 2022 par le ministère de la Transition écologique, un plan national d’actions entend rétablir le félin aux mouchetures noirâtres « dans un état de conservation favorable ». S’il salue l’initiative, Patrice déplore l’absence de moyens octroyés aux investigations, dans la lutte contre les destructions illégales.
Sur le chemin du retour, à la lisière de la forêt, le piaillement d’un oisillon nous alerte. Tombée de son nid, une petite grive litorne repose par terre, figée par la peur. De ses doigts délicats, le naturaliste saisit la miraculée et la dépose sur la branche d’un grand sapin. Autour de lui, les parents affolés virevoltent comme des chauves-souris dans la pénombre. « Espérons qu’elle s’en sorte… »
« Il y a une vingtaine d’années, quand je demandais à une classe élémentaire de me dessiner un lynx, plus d’un tiers des élèves me rendaient des monstres aux dents dégoulinantes de sang. Maintenant, les gamins ne font plus ça. » Aux yeux de Patrice, l’acceptation des prédateurs et leur cohabitation avec les humains passeront par davantage de culture et de connaissances. « Les journalistes illustrant leurs papiers par un loup ou un ours à l’allure féroce modélisent dans l’esprit des citoyens une image négative de ces animaux. Ce n’est plus possible… »
La légende de l’arracheur de cervelle
Au XIXᵉ siècle, et encore aujourd’hui dans certains livres, le lynx était appelé « loup-cervier ». Ce terme émane des maintes superstitions qui courraient sur l’espèce depuis le Moyen Âge : « À l’époque, on racontait qu’il se cachait dans les arbres en attendant que passe sa proie, pour lui sauter sur le dos et lui arracher la cervelle. »
Un comportement fantasmé qui, additionné à son feulement associé au hurlement du loup, le dota de cet étrange surnom. « En diffusant ces légendes, les savants et les curés ont causé beaucoup de torts au lynx. »
Accidents de la route, braconnage, fragmentation des forêts... Tout autant d’obstacles à la constitution d’une population durable de lynx. © Emmanuel Clévenot / Reporterre
Étudier ce mammifère, c’est finalement accepter une perpétuelle remise en cause des connaissances amassées. « Il y a peu, un naturaliste biélorusse a observé un mâle tuer un chevreuil et en offrir la carcasse à une femelle et ses petits, poursuit Patrice, les sourcils levés. Jamais on aurait imaginé ça ! Tout le monde pensait qu’il abandonnait la femelle aussitôt après s’être accouplé. »
Le ciel s’est obscurci. Patrice se faufile sous un vieux fil barbelé, servant de clôture à quelques vaches au pelage blanc-crème. À l’autre bout du champ, apparaît la maison. « Le suspens est à son comble », sourit-il, en sortant de sa poche les cartes mémoire. Auront-elles immortalisé un instant de la vie secrète du fantôme des forêts ?
Cet été, RFI s'intéresse à l'histoire des objets de notre quotidien. Dans ce premier volet de notre série, nous faisons un gros plan sur la face cachée du crayon à papier, utilisé par des générations d'écoliers, d'artistes ou d'artisans.
Par François-Damien Bourgery
Pas de vacances pour le crayon à papier. Sitôt les cartables remisés au placard, le voilà qui ressurgit entre les doigts des estivants. Dans les aéroports et dans les gares, sur les chaises longues et les serviettes de plage, l'accessoire de travail devient un partenaire contre l'ennui. Il hésite au-dessus des grilles de sudoku, noircit les cases de mots croisés. Se trompe. Corrige. S'émousse. Triomphe enfin. Son succès ne s'est jamais démenti.
L'objet pourtant ne paie pas de mine, bien qu'il en soit doté. La sienne est traditionnellement faite d'un mélange de graphite et d'argile, fixé entre deux demi-cylindres de bois de cèdre collés ensemble. Le tout mesure en général une quinzaine de centimètres, mais parfois beaucoup plus : en 2017, les ouvriers d'une usine Bic du Pas-de-Calais ont produit un crayon long d'un kilomètre, pulvérisant le record établi deux ans plus tôt en Allemagne. Plus de 140 personnes ont été mobilisées pour porter le fabuleux objet.
Notez que si nous écrivons ici « crayon à papier », nous pourrions tout à fait le désigner autrement. Sa constitution lui vaut en effet de multiples appellations. Selon qu'on habite en Bourgogne, dans le Pas-de-Calais ou en Bretagne, on le nomme crayon de papier, crayon de bois, crayon gris… On parle de crayon à mine au Québec et simplement de crayon en Belgique. L'Académie française n'a pas tranché. À la question d'une internaute lui demandant quel terme utiliser, l'institution répond : « Depuis que le crayon à mine a été mis au point par l’ingénieur normand Nicolas-Jacques Conté, il a reçu de nombreuses dénominations : crayon à mine, crayon de bois et crayon à papier. C'est cette expression qui est la plus employée, même si les autres sont correctes. »
Le crayon à papier, une invention hexagonale ? Pas si simple. Sa paternité diffère selon les sources. Elle est française pour certaines, anglo-saxonne ou germanique selon d'autres. « Il n'y a pas vraiment d'inventeur, évacue Manuel Charpy, historien au CNRS, spécialiste de la culture matérielle. Le crayon est juste une transformation de ce qui existe déjà. Lorsque Conté dépose son brevet en 1795, les outils de dessin, qu'il soit industriel ou artistique, connaissent un développement considérable. On trouve déjà des mines dans des corps en bois. »
L'invention réside en réalité dans la composition de la mine. Elles sont à l'époque en graphite, une forme de carbone dont les meilleurs gisements se trouvent en Angleterre. Mais en cette fin du XVIIIe siècle, Londres est en guerre contre Paris et lui impose un blocus économique. Nicolas-Jacques Conté, scientifique réputé, est sommé de trouver une solution à la pénurie qui menace. C'est chose faite en quelques jours avec un mélange de graphite ordinaire et d'argile cuit à très haute température. Conté s'est-il inspiré de la trouvaille de l'Autrichien Joseph Hardtmuth deux ans plus tôt ? L'histoire ne le dit pas.
« La vraie bascule, c'est l'industrialisation de la production », remarque Manuel Charpy. La variation de la température de cuisson et de la proportion graphite-argile permet de produire des mines de différentes duretés. Grâce aux machines-outils, le bois utilisé comme enveloppe peut être découpé en de longues plaques tronçonnables de manière standardisée. Le crayon moderne est né. Il obtient la médaille d'or des Arts et métiers et accompagne Napoléon dans sa campagne d'Égypte. « Le corps expéditionnaire part avec des armes et des crayons à papier. On s'approprie les antiquités égyptiennes en les dessinant », note l'historien.
Mis au point à la fin du XVIIIe siècle, le crayon à papier se vend par milliards chaque année.
L'objet est très vite adopté par toutes les professions. Il faut dire qu'il a tout pour plaire : utilisable sur de nombreux supports – le papier, la toile, le bois, la pierre –, il se transporte au fond d'une poche, ne bave pas, s'affûte en quelques coups de canif, résiste à l'eau, au temps, tout en s'effaçant facilement. « Le crayon arrive assez tard dans les écoles françaises, poursuit Manuel Charpy. Il est d'abord employé comme outil de dessin. On trouve aussi sa trace dans les cahiers de géographie et de géométrie. Il devient très ordinaire dans les années 1860-1870. » L'enseignement primaire obligatoire et la démocratisation de l'écriture font s'envoler les ventes.
Plus de deux cents ans après son invention, le crayon à papier est désormais concurrencé par le stylo-bille et les outils numériques. Mais il continue à se vendre par milliards chaque année. Et si les caisses enregistreuses l'ont fait disparaître des oreilles des épiciers, il demeure un incontournable des trousses d'écoliers. « On s'en sert pour tout, confirme Marie Massé, institutrice à Paris. Comme il se gomme, il est plus pratique pour les dictées, les calculs posés… »
À l'inverse du stylo qui tolère peu la faute, le crayon est le meilleur ami de l'apprenti. Il permet le doute et la maladresse, rassure, et encaisse sans s'offusquer l'ingratitude dont font parfois preuve les plus jeunes. « Les enfants sont souvent impatients de passer au stylo, constate l'institutrice. Ça glisse mieux sur la feuille et c'est plus net. Mais en cas d'erreur, ils doivent barrer et utiliser le blanco. Et là, rien ne va plus. »
Sans compter que le crayon est bien plus écologique que le stylo. Même s'il est, lui aussi, touché par l'obsolescence programmée, celle-ci se mesurerait en dizaines de kilomètres. Il est en effet communément admis qu'il peut tracer une ligne de 56 km avant d'être trop petit, et donc inutilisable, à force d'être taillé. Soit une moyenne de 45 000 mots. Bien plus qu'un stylo-bille (2 km) et qu'une recharge de stylo-plume (1,4 km). Bref, le crayon à papier possède encore trop d'arguments pour consentir à s'effacer.
Donnez-lui quelques mots, voire une phrase et attendez un peu, Craiyon vous donnera une proposition de 9 images correspondant à la description que vous avez entrée. Craiyon comprend le français, mais comme il (elle ?) va le traduire en anglais pour lancer sa création, autant lui causer angliche de suite.
Voici le résultat pour "pastel owl". (le hibou est mon totem ...)
Les plantes ne nous crient pas dessus si on leur coupe une branche. Elles ne pleurent pas à chaude sève leur malheur et ne manifestent pas non plus haut et fort leur souffrance quand on leur arrache –délicatement ou non– l'une de leurs feuilles. Sont-elles pour autant totalement insensibles à la douleur?
Graine par Cécile Di Costanzo
Imaginer un instant une plante souffrir le martyre, c'est remettre en question beaucoup de nos pratiques. Élaguer un arbre devient un acte de torture botanique cruel. Désherber un vaste jardin? Un des pires châtiments d'horticulture qui soit. Sans parler de tondre une pelouse: une véritable industrie de la douleur végétale. Qu'en est-il vraiment? Les plantes ressentent-elles bel et bien la douleur?
Côté humain –et comme pour tous les organismes avec des nerfs–, l'analyse est relativement simple. Quand on se blesse, des récepteurs de la douleur s'activent, comme les nocicepteurs (présents notamment chez les animaux), et produisent alors un signal analysé comme douloureux par notre cerveau. Subjectivement, on souffre, on a mal. La douleur est bien là.
Chez nos amies les plantes, on ne retrouve rien de tel. Pas de nocicepteurs à l'horizon. Pas de cerveau non plus ni de système nerveux. Si l'on parle de ce que l'on appelle douleur, en partant de notre expérience en tant qu'être humain, la réponse est limpide: non, les plantes ne ressentent pas la moindre douleur.
Fin de l'histoire? On aurait en effet pu s'arrêter là. Mais ce serait évacuer bien trop vite un point crucial: notre faculté à anthropomorphiser tout ce qui nous entoure. La notion de douleur telle que nous la ressentons ne peut être aussi facilement transposée au règne végétal, tant les différences physiologiques entre les plantes et l'homme sont abyssales, souligne le magazine scientifique américain Discover.
Si pour les biologistes, les plantes ne possèdent pas la complexité nécessaire pour ressentir une sensation proche de la nôtre, elles ne sont en revanche pas dénuées de toute réaction face à une agression. Les plantes réagissent en effet aux stimuli que l'on aurait tendance à qualifier de «douloureux».
Attaquée, une plante ne reste pas là à rien faire, sans broncher, à s'en battre les racines. Même si les végétaux ne ressentent pas la douleur telle que nous l'imaginons, se faire couper les branches ou titiller le bourgeon n'est semble-t-il pas des plus préférables. Comme toute forme de vie, ils ont donc développé des outils pour échapper à ces multiples agressions.
Prenez l'herbe, par exemple. Quand un herbivore la broute un petit peu trop, le végétal fraîchement coupé produit des protéines de défense, véhiculées par l'acide jasmonique, rapporte Sciences et Avenir. Un composé pas vraiment agréable, qui pousse ceux qui la grignotent à aller voir ailleurs, un peu plus loin, à chercher une plante encore intacte. Cette réaction face au mal, on la retrouve chez différentes plantes.
Chardon par Marie-Hélène Taillard
Elles ont en effet bien plus d'un tour dans leur sac. Le maïs et les choux arrivent même à attirer les prédateurs de leurs propres prédateurs. Un moyen efficace de se protéger des redoutables chenilles et des terribles noctuelles. Mieux encore, certaines plantes blessées émettent des composés volatils qui avertissent leurs voisins d'un danger imminent. Une sorte de cri de détresse.
Une histoire de chêne, de caresses et de Zeus.
C'est une drôle de pratique que beaucoup appliquent aveuglement, en ne manquant surtout pas de joindre le geste à la parole. Dès qu'un «je touche du bois» surgit au milieu de la conversation, c'est la débandade: il faut trouver au plus vite ce fameux bois et poser la main dessus avant que l'infortune ne vous rattrape. Une façon comme une autre de mettre toutes les chances de son côté, s'assurant succès et réussite. Vraiment ?
L'origine de cette superstition remonte à plusieurs millénaires.Toucher du bois © Tent Haaland via Unsplash
Ici, pas question d'égratigner cette superstition. On vous laisse seul juge de son efficacité. En revanche, remonter le fil de ses origines est fichtrement intéressant et nous plonge dans un temps où l'on en venait presque à souhaiter toucher la foudre à la place du bois –ce qui aurait sûrement rendu plus impopulaire cette pratique.
Les racines de cette expression remontent en effet à plusieurs millénaires. En 600 av. J.-C., les Perses touchaient déjà du bois. À l'époque, c'était surtout un bon moyen de se mettre le dieu du feu Atar de son côté –et ça, ça pesait dans le game. Pas sûr, en revanche, qu'ils criaient à haute voix «je touche du bois» en mettant la main sur un meuble Ikea.
Les Égyptiens eux aussi avaient un petit faible pour tout ce qui était arbre et tronc. Selon eux, le bois diffusait une sorte de magnétisme protecteur. Le toucher, c'était s'assurer une santé de fer. Pratique.
C'est pourtant un autre peuple, les Grecs, qui a sûrement le plus introduit cette pratique dans notre culture. Les Hellènes étaient persuadés que leurs dieux les regardaient depuis les cieux. Du haut du mont Olympe, il leur arrivait même d'envoyer quelques signes de leur mécontentement aux mortels: des éclairs. La foudre était alors considérée comme la manifestation de Zeus, le dieu des dieux dans la mythologie. Et devinez où allaient bien souvent se nicher ces sortes de messages foudroyants? Dans les arbres. Enfin, pas dans n'importe quels arbres.
Les Grecs avaient remarqué qu'un type d'arbre en particulier, plus grand et plus imposant que tous les autres, attirait souvent la foudre: le chêne. Dès lors, aller caresser un chêne revenait à flatter Zeus, à calmer sa colère. L'objectif? Se le mettre dans la poche, évidemment. Rien ne pouvait vous arriver une fois Zeus de votre côté.
Si l'aspect sacré du chêne a traversé les âges –on le retrouve notamment chez les Romains et les Gaulois–, c'est la relation entre le bois issu de n'importe quel arbre et la bonne fortune qui a finalement pris le dessus. Jusqu'à atterrir au Moyen Âge, où les chrétiens se sont réappropriés cette superstition païenne. Pour eux, toucher du bois, c'était avant tout se référer à Jésus, à son supplice sur une croix de ce matériau. Un moyen de voir ses prières exaucées.
Aujourd'hui, l'expression existe dans plusieurs langues, avec de légères variantes tout de même. Ainsi, en anglais, on ne «touche pas», mais on «frappe du bois». Les Italiens sont même allés un peu plus loin et préfèrent, quant à eux, «tapoter du fer». Encore faut-il en avoir sous la main.
Toucher du bois est loin d'être le seul acte superstitieux que l'on réalise parfois sans même réfléchir à son origine. Prenez les échelles: combien de personnes ont, de nos jours, peur de passer sous l'une d'entre elles? La pratique remonterait au Moyen Âge, car à l'époque, passer sous un tel objet c'était risquer de se prendre des seaux de peinture ou des outils tranchants sur la tête. Simple mesure de sécurité donc? Pas seulement.
L'échelle est bardée de références bibliques. D'un côté, elle rappelle aux chrétiens celle qui a été adossée à la croix du Christ afin de le hisser pour le crucifier; de l'autre, une fois posée contre un mur, elle forme un triangle, symbole de la Sainte Trinité –passer sous une échelle reviendrait donc à briser le triangle, un sacrilège qui ne vous apporterait que du malheur.
Et que dire d'ouvrir un parapluie à l'intérieur d'une maison. C'est la mauvaise fortune assurée! Et pour cause: au XVIIIe siècle, le mécanisme d'ouverture des parapluies à armature métallique était très (très) dangereux. L'ouvrir dans un petit espace c'était risquer de blesser, voire d'éborgner quelqu'un. Ajoutez-y une superstition et plus personne n'aura à craindre pour son œil.
Briser un miroir apporterait sept ans de malheur? Un classique. Au Ier siècle, les Romains pensaient que les miroirs –qui étaient loin d'être aussi répandus qu'aujourd'hui– renvoyaient l'image de l'âme. Brisez le précieux objet et c'est votre âme que vous cassez en morceaux. Pourquoi sept ans de malheur précisément? Parce que ces même Romains estimaient que l'homme évoluait par paliers de sept ans, notamment au niveau de la personnalité. La malédiction du miroir brisé suivait donc l'individu jusqu'à son prochain cycle de vie.
Poser son chapeau sur un lit est également fortement déconseillé dans les croyances populaires. Ce geste est en effet loin d'être anodin: à l'époque, les hommes ôtaient leur chapeau lorsqu'ils entraient dans la chambre d'un mort. Réitérez ce geste et c'est la mort qui viendra à vous. Enfin, pas si vous touchez du bois rapidement.