La lettre d'un écossais de sept ans est à l'origine de l'existence d'un arrêt de bus à l'histoire farfelue. On a retrouvé Bobby Macaulay vingt ans plus tard dans un pub de Glasgow pour parler du désormais célèbre «Bobby's Bus Shelter».
Mark Nermode et sa maman dans le plus petit cinéma du monde | Roseanne Watt/Shetland Arts
Jacques Besnard — 17 décembre 2016
Pas besoin de connaître Bobby Macaulay pour comprendre qu'il n'est pas frileux. Alors que le thermomètre ne dépasse pas le zéro degré à la nuit tombée, l’Écossais est relaxe dans le vent, sans gant et sans manteau, dans les rues de Glasgow. En même temps, Bobby a grandi sur l’île d'Unst dans les Shetland et le moins que l’on puisse dire, bah c’est que ça gèle en pleine mer au nord de l’Écosse. «La météo est encore plus mauvaise qu'ici. L’hiver, il fait jour seulement trois ou quatre heures, il pleut, il y a du vent…, explique-t-il, quelques minutes plus tard dans un pub du centre de la ville. On avait absolument besoin d'un arrêt de bus.»
Lorsque le vent a emporté le toit de son petit arrêt de bus en 1996, le conseil de l'archipel a alors décidé de le supprimer. Bobby, à l'époque âgé de 7 ans, choisit alors –probablement aidé par son père– d’écrire une lettre au Shetland Times un journal local qui a publié sa diatribe. Magie: le conseil des Shetland a décidé de le réhabiliter. Très vite, l'arrêt de bus est devenu un symbole pour la communauté qui s'est mise doucement à le décorer. Mais qui a commencé?
«C’est venu d'un habitant d'Unst mais je ne sais pas qui précisément, bluffe Bobby en se marrant. Bon, c'est vrai que ma mère a fait la plupart du travail au début mais j’aime garder une part de mystère et de romance et dire que c'est venu spontanément sans que l'on sache qui a mis la première pierre à l'édifice. Cela rend l’histoire encore plus unique. On a commencé à le décorer en y mettant un sofa, une table, un micro-onde, des plantes, des livres, un tapis, des décorations de noël... C'était juste pour rigoler.»
Bobby et ses amis au tout début de l'aventure - Bobby Macaulay
En vingt ans, «aucun objet n'a été volé ou vandalisé» et le look de l'arrêt de bus change donc au gré des événements lorsque le printemps pointe le bout de son nez. En général, en fonction d'une couleur.
Les objets sont réinstallés au printemps par une équipe d'habitants - Bobby Macaulay
Les habitants aiment aussi célébrer un événement particulier. Le «Bobby Bus Shelter» a par exemple été décoré pour mettre à l'honneur les vieux voiliers lors des Tall Ships' Races, ou pour rendre hommage à Nelson Mandela après sa mort.
Hommage à Nelson Mandela - Bobby Macaulay
L'arrêt s'est même transformé en salle de cinéma en 2009 dans le cadre du festival du film des Shetland. Mark Kermode, un critique anglais plutôt connu, a pu apprécier avec sa mère une avant-première, à la coule, dans l'arrêt de bus...
«Notre petite île a été regardée par 18 millions de téléspectateurs»
Au départ, cela faisait uniquement rigoler les gamins du quartier, l'arrêt a donc commencé à gagner une renommée internationale.
«Au fur et à mesure, de plus en plus de touristes sont venus visiter le “Bobby's Bus Shelter”. Alors, on y a mis un livre d’or. En un été, des centaines, peut-être un millier de personnes ont signé le bouquin. L'arrêt est devenu l'une des principales attractions touristiques d'Unst et j'en suis très content.»
Bruce Molsky, un musicien américain pose durant son passage à Unst - D.R.
![Jubilé de la reine d'Angleterre](/images/bustop6.png]Jubilé de la reine d'Angleterre
«J'étais tout jeune lorsque j'ai été interviewé par différents journaux et magazines. Le “must”, ça restera quand même le cinquantième jubilé de la reine Elisabeth II en 2002. Pour l'occasion, on avait décoré l’arrêt de bus avec une couronne, des faux bijoux, on avait aussi mis deux hamsters dans une cage qui s'appelaient “Lizzy” et “Phil” clin d’œil à la reine et à son mari: le prince Philip. La chaîne Sky News est venue pour nous filmer. Ce jour-là, notre petite île a été regardée par 18 millions de téléspectateurs.»
Une équipe de tournage lors de la Coupe du monde de football en Afrique du Sud - Bobby Macaulay
Aujourd'hui (NDLR en 2016), à 27 ans, Bobby Macaulay a quitté son île pour faire un doctorat et écrire une thèse sur les communautés rurales. Une réussite professionnelle qui n'aurait peut-être pas vu le jour, selon lui, sans toute cette aventure.
«Je pense que l'arrêt de bus a, en quelque sorte, changé ma vie. Quand j’avais 15 ans, j'ai passé un entretien pour rentrer dans une école privée internationale. Je m’attendais à ce que le jury me parle du Royaume-Uni ou de la politique étrangère des États-Unis. Ils m’ont parlé d'Unst et de l'arrêt de bus. Je suis sûr et certain que c’est cette histoire originale qui a fait la différence et qui a fait que j’ai été accepté. Grâce à cela, j'ai obtenu une bourse pour payer mes frais de scolarité car mes parents n'auraient jamais pu me payer une telle école. C'est aussi là-bas, au Swaziland, que j'y ai rencontré la femme qui est devenue mon épouse.»
Même s'il ne rentre désormais qu'une à deux fois par an, qu'il n'a plus le temps de s'occuper de l'ameublement de l'arrêt, Bobby reste toujours la figure publique du «Unst Bus Shelter». Une histoire sympa qui doit surtout permettre, selon lui, de parler des conditions de vie difficiles dans les milieux ruraux.
«L'économie est fragile, les écoles ferment, Unst a perdu une bonne partie de sa population même si certaines jeunes familles reviennent s'installer. L'arrêt de bus ne résout évidemment pas tous les problèmes mais cet arrêt, sans rien coûter, a permis de faire connaître notre île dans le monde entier.»